Claude Giraud : "Parler de champagne boisé ou d’élevages « sous bois » n’a aucun sens en 2013, sauf à vouloir faire de la décoction de bois."

Claude Giraud : "Parler de champagne boisé ou d’élevages « sous bois » n’a aucun sens en 2013, sauf à vouloir faire de la décoction de bois."

Champagne Henri Giraud

Claude Giraud, qui dirige la maison de Champagne Henri Giraud située en plein coeur du village d’Aÿ, évoque dans cette interview le lien fort entre ses Champagne et la forêt d’Argonne.

Que pensez vous de cette mode actuelle de la « patine » du bois en Champagne?

Claude Giraud : « Nous ne sommes pas de ceux qui ont vu le filon du Champagne « élevé sous bois » comme un moyen de se donner une image mode. Notre passion pour la forêt d’Argonne ne date pas d’hier. C’est la forêt historique de la Champagne. Vinifier dans ses chênes, c’est créer une alchimie, un couple qui modifie la structure intime du vin et le révèle différemment. Cette magie n’opère qu’avec des chênes neufs ou de moins de 5 ans. Au-delà, il ne se passe plus rien. Plus d’histoire, plus de vibration, juste le goût du bois et de l’oxydation, ce qui est une hérésie. »

Vous parlez d’un quart de siècle de recherches et aussi de révolution dans le monde des grands vins. Expliquez-nous ?

Claude Giraud : « La traçabilité des chênes à merrains, c’est la pièce du puzzle qui manque aux grands vinificateurs, c’est aussi leur souffrance. Pouvoir choisir la forêt pour son vin et en avoir un approvisionnement tracé est essentiel. Aujourd’hui les grandes tonnelleries ont bloqué le process de traçabilité en achetant les méranderies devant la porte desquelles des semi-remorques venant des pays de l’est font la queue pour se « franciser ». Circuit bien connu de tous qui défrayait la chronique chevaline il y a encore quelques semaines…Pourtant, la traçabilité à la forêt est déjà dépassée, c’est de parcelles dont on parle aujourd’hui car les forêts sont comme les vignes. Elles sont faites de terroir au sens plein du terme, de sol et de microclimat. Voilà le résultat des recherches de nos ateliers et c’est une vraie révolution pour le monde du vin et certainement de l’exploitation forestière. Les 21 et 22 avril prochains, nous avons invité de grands journalistes et experts de plus de 15 pays à valider ensemble cette phase de recherches observatoires. Ne doutons pas que, dans les années futures, la notion de terroir en forêt donnera une toute autre dimension à la traçabilité des chênes à merrain et ouvrira un terrain d’expérimentation et de progrès inédits aux grands vinificateurs. »

Votre maison a su imposer son style. Quelle a été votre réaction lorsque Robert Parker a évoqué Krug en dégustant votre Champagne?

Claude Giraud : « L’humanité a toujours eu besoin de guide, l’opinion de ce grand critique, sincère et intègre, nous situe dans les références de la Champagne. Elle s’inscrit dans le prolongement de notre travail ciselé sur la vinification en chêne. Je la reçois comme un encouragement. Le style Henri Giraud c’est celui de la modernité naturelle champenoise, de la curiosité, de la ténacité, du génie de ses hommes qui ont su au 17ème siècle dépasser les contraintes climatiques et faire un grand vin blanc avec des raisins noirs. Aujourd’hui le Champagne a 2 visages, les cuvées « marketing » et les grands vins de Champagne: seuls les seconds m’intéressent. Si nous sommes différents, c’est parce que nous avons su garder la mémoire, l’ADN de la Champagne dont nous nous sentons aujourd’hui les dépositaires. Etre la douzième génération d’une famille de vignerons installés à Ay depuis le début du 17ème siècle, début de l’épopée du Champagne, donne des responsabilités. Il n’existe pas de grand vin qui ne soit lié à un grand terroir, une grande forêt, une grande histoire. Nous avons la chance de réunir ces 3 ingrédients et notamment Ay Grand Cru et la forêt d’Argonne. Reste le courage de les assumer : il est impensable pour moi d’acheter des fûts d’occasion dans les chais bordelais alors que notre forêt historique, dévastée par 2 guerres successives, a besoin de nous ! Ma curiosité et ma passion m’ont donc porté, il y a un quart de siècle, à m’intéresser au terroir d’Ay et au terroir d’Argonne, la région sœur de la Champagne. En 1990, j’ai créé le champagne « Fût de Chêne Ay Grand Cru ». Un succès immédiat, une référence internationale aujourd’hui incontournable. En 2002, j’ai créé « Argonne Ay Grand Cru » avec tout ce que cette forêt extraordinaire, au grain plus fin que Tronçais, m’a appris. Elle me le rend bien et Robert Parker a été sensible à l’histoire vraie que raconte cette cuvée. »

Y aura-t-il une suite à cette présentation du 21 Avril?

Claude Giraud : « Avec l’Argonne ce n’est pas une simple rencontre, c’est une passion qui a une histoire. Nos ateliers travaillent maintenant à la création de l’« Argonne 2012 ». Ensuite viendra la phase du travail scientifique pour consolider nos observations notamment la trace ADN, la carte ionique des sols et l’influence des climats. Mais il reste des zones troublantes à explorer comme, par exemple, celle-ci : aujourd’hui, nous différencions des parcelles de forêts qui ont été délimitées il y a fort longtemps. Mais sur quels critères l’ont elles été? Sur leur qualité organoleptique, leur grande résistance, la qualité de leur maille ou la finesse de leur grain? Voici les questions que l’on doit se poser pour les générations futures. La cuve est un bel écrin inerte. Le chêne c’est vivant, il élève le vin comme il le féconde. Pour réussir cela il faut pénétrer l’histoire au cœur et ne jamais oublier ses origines que Salvador Dali aimait à définir ainsi : « la Champagne, une région pauvre qu’un vin de craie fît somptueuse. »

(Ecrire à VitaBella info@vitabella.fr)